Ce jeudi 12 juillet 2018, le pas du non-retour a été emboité par la France. L’article 1er de la Constitution française qui stipulait que la République « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion… » vient d’être retouché pour laisser place à la République « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction de sexe, d’origine ou de religion ». On y a ajouté sans distinction « de sexe » tout en supprimant le mot « race ». Le jour est certainement historique, du moins par la noblesse des intentions qui ont précédé le projet, au même titre que les jours successifs qui avaient marqué l’abolition « juridique » de la traite des esclaves. Aux tréfonds de la conscience de la victime traditionnelle de cette appellation de « race » se repose désormais une âme allégée, qui peut maintenant souffler, sans abandonner pour autant. Il aurait fallu en même temps, suivant cette logique, couper le mot « origine » parce que nous sommes tous citoyens du monde et nul n’est tombé d’une autre planète, du moins pas encore à ma connaissance. Les frontières ne sont que la matérialisation de l’égocentrisme humain par excellence.

Si c’est par le système que naît le mal, il n’y a plus lieu de chercher longtemps, c’est par ce même système qu’il faut le soigner. Quant à lui, le plus grand mal historique de « race » qui hante encore les esprits, nourrissait directement ou indirectement l’exclusivité des offres politiques de l’extrême droite et qui survivait dans la Constitution française comme dans des centaines d’autres, a donc été amputé. À travers ce simple élan viennent beaucoup d’implications qui pourraient occuper encore plusieurs chercheurs. Si le mot lui-même s’en va, la persistance du mal comme fait social qu’il combattait, lui, demeure dans le subconscient du commun des mortels. Le silence du droit, provoqué par cette suppression, à cet effet, devient révoltant. J’hésite encore à penser que la meilleure manière de pouvoir soigner une maladie commence par le fait de lui trouver un nom. Un nom qui est certainement moins animalisant tel une « race », mais un nom quand même…
Il ne faut certainement pas crier victoire si tôt parce que, par la suppression totale du mot, c’est là même une arme de la bataille juridique qu’on retire à ceux qui continuent de souffrir quotidiennement de la discrimination basée sur leurs traits distinctifs tels la couleur de la peau. Puisque la loi a été votée par tous les députés présents, cet état de fait démontre jusqu’à quel point tout l’hémicycle de l’Assemblée nationale française ignore les enjeux réels pour lesquels il est amené à se prononcer. Le couteau était à double tranchant, mais le législateur n’en a vu qu’un. Il s’agit donc d’un mal social qui survit et pour lequel, le droit, à travers cette suppression, refuse d’y apporter une réponse. Le juste milieu, entre, d’une part, la volonté de se défaire des résidus de fausses théories visant à hiérarchiser les humains selon les races afin d’assimiler chacune d’elle au mal ou au bien selon qu’il appartient à l’une ou l’autre de ces races et d’autre part, la nécessité encore actuelle et croissante de combattre les inégalités fondées justement sur ces traits caractéristiques aurait été facilement trouvé en remplaçant le mot « race » par une autre expression ou mot, au lieu de le supprimer. Le mieux aurait, par exemple été de remplacer le mot « race » par « couleur de la peau » parce qu’en le supprimant, on ne met pas ainsi fin aux faits sociaux qui viennent nous rappeler, chaque jour, que des personnes aux couleurs de la peau différentes continuent de pâtir sous le lourd fardeau des discriminations et des inégalités. En conséquence, j’aurais plutôt proposé la formulation selon laquelle la République « assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction de sexe,’de couleur de la peau’, d’origine ou de religion ». Ainsi donc, on aurait réussi à joindre les deux impératifs. Sinon, malgré les bonnes intentions initiales, la formulation actuelle de l’article 1er de la Constitution française ouvre une porte d’impunité escamotée dans le système lui-même et fait désormais des anciens titulaires de ce droit, des victimes laissées à elles-mêmes parce que désormais devenues non-justiciables.